Apprivoiser ses "démons" pour vivre sereinement

Apprivoiser ses "démons" pour vivre sereinement
 Le bonheur est devenu une valeur essentielle de notre société. Il est de bon ton d'être en forme, épanoui, de réussir sa vie de couple, familiale, sexuelle, professionnelle... Paradoxalement, cette sorte de tyrannie du bonheur génère frustrations et déceptions. "Nous sommes la première société dans l'histoire à rendre les gens malheureux de ne pas être heureux", écrivait déjà l'essayiste Pascal Bruckner, en 2000, dans L'euphorie perpétuelle (Grasset).Dès 1976, le docteur Jon Kabat-Zinn, alors professeur à l'école de médecine de l'université du Massachusetts, aux Etats-Unis, a élaboré un programme connu sous le nom de réduction du stress par la pleine conscience (MBSR), pour les patients souffrant de troubles anxieux ou de douleurs chroniques.Dans les années 1990, la méditation pleine conscience a été intégrée dans le traitement de la rechute dépressive par John Teasdale et Mark Williams, de l'université d'Oxford (Grande-Bretagne), ainsi que Zindel Segal, psychothérapeute au centre Addiction et santé mentale de Toronto (Canada), sous le nom de thérapie cognitive fondée sur la pleine conscience (MBCT). Ces programmes sont le plus souvent dispensés en groupe sur deux mois à raison de deux heures hebdomadaires.Les faits Apprivoiser ses "démons" pour vivre sereinementEt si les efforts pour trouver le bonheur étaient contre-productifs ? Si, à vouloir chasser les émotions désagréables (tristesse, colère, déprime, anxiété, etc.), on ne faisait que les renforcer ? C'est ce que postule de nouvelles formes de thérapies. Plutôt que de chercher à éviter les expériences émotionnelles désagréables, elles invitent à les accepter afin qu'elles perdent de leur emprise. Pour ce faire, elles puisent aux sources du bouddhisme en s'appuyant sur des techniques de méditation dites de "pleine conscience". Elagués de leur dimension religieuse, ces exercices ont pour but de permettre aux sujets anxieux ou à tendance dépressive de prendre du recul par rapport à leurs automatismes mentaux maladifs.Venues d'outre-Atlantique, ces techniques se développent de plus en plus dans les cabinets des thérapeutes, mais aussi à l'hôpital. Elles s'inscrivent dans la troisième vague des thérapies comportementales et cognitives. Pour schématiser, la première était centrée sur le renforcement positif des comportements ; la deuxième sur la modification des interprétations des pensées négatives ; la troisième est un outil supplémentaire fondé sur le lâcher-prise des émotions au travers d'un ancrage corporel et sensoriel.Le psychiatre Christophe André, qui a ouvert une consultation à l'hôpital Sainte-Anne, à Paris, utilise la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience. "Les patients déprimés sont prisonniers de leurs émotions. Soit ils sont dans un bain émotionnel de rumination, soit ils cherchent à éviter en vain leur tumulte mental douloureux, explique-t-il. Le but de cette thérapie est de leur faire prendre conscience que leurs pensées sont juste des événements mentaux. Elles peuvent être vraies ou fausses. Le seul moyen d'arriver à en reprendre le contrôle, c'est de les accepter."Reformuler ses penséesLors des séances de méditation pleine conscience, les patients sont ainsi invités à se centrer sur l'instant présent et à observer leurs pensées, leurs émotions, leurs sensations. L'objectif est d'accueillir ses états d'âme sans jugement, de ne pas "fusionner" avec ses pensées, c'est-à-dire ne pas s'identifier à elles, sans pour autant chercher à les fuir. "Sur le plan du fonctionnement cérébral, la méditation, par rapport à la relaxation, entraîne une activité cérébrale plus ample, explique le psychiatre. La pratique régulière induit, par exemple, des modifications favorables de l'électroencéphalogramme et de la réponse immunit
Stephen Hayes, professeur de psychologie à l'université du Nevada, (Reno, Etats-Unis), a ajouté au concept d'acceptation par la méditation pleine conscience la dimension d'engagement. Fondateur des thérapies d'acceptation et d'engagement (acceptance and commitment therapy-ACT), théorisé dans un livre paru en 1999, il propose de clarifier ce qui compte le plus pour soi. Les valeurs propres du patient peuvent ainsi être mobilisées comme un levier au service du réengagement dans l'activité.Russ Harris, médecin thérapeute spécialisé dans la gestion du stress, explicite, dans un ouvrage récent, les techniques de la thérapie ACT, suscitant parfois l'agacement tant il prétend détenir "LA" solution. Il préconise, pour ne pas prendre ses idées négatives au sérieux, des techniques de "défusion" simples, comme, par exemple, d'évoquer une pensée dérangeante récurrente (du style "Je suis nul"), d'y croire aussi fort que possible pendant quelques secondes. Puis ensuite de reformuler cette pensée sous la forme "Je suis en train de penser que je suis nul", ce qui crée une mise à distance.Le thérapeute conseille, entre autres, de repérer ses ruminations récurrentes et de les nommer pour mieux les affaiblir ("Tiens, revoilà cette bonne vieille histoire du raté"). Dans le même temps le patient est invité à passer à l'action d'une manière conforme à ses valeurs, qui sont identifiées grâce à différents exercices et questionnaires et mises en pratique de manière progressive et réaliste.Jean-Louis Monestès, psychologue dans le service universitaire de psychiatrie d'Amiens (Somme) pratique et fait des recherches sur la thérapie ACT. "On compte 3 500 chercheurs et praticiens à travers le monde, dont la moitié aux Etats-Unis, explique-t-il. C'est encore peu répandu en France mais je suis de plus en plus sollicité pour faire des formations. On essaie de déplacer l'énergie mise à contrôler les pensées vers la réalisation de ce qui compte vraiment pour les patients. Cet engagement n'a pas besoin de choses exceptionnelles, mais il faut commencer par la plus petite action allant dans le sens de ses valeurs."

Martine Laronche
LEMONDE

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