Internet Facebook, la nouvelle arme fatale contre les dictatures

Publié le par Florymawit

 

Facebook ou le réseau social qui, en à peine 2 mois, a fait tomber des dictatures du monde arabe en place depuis 30 ans... Plus largement, ce sont tous les outils participatifs du web 2.0 (Twitter, YouTube, etc.) qui ont été utilisés par les cyberactivistes pour déjouer la censure et mobiliser les manifestants. Enquête...

Une galerie photo partagée sur Facebook par un certain Mohd Ali, au Bahreïn.

Une galerie photo partagée sur Facebook par un certain Mohd Ali, au Bahreïn.

C'est une vidéo qui glace d'effroi. On y voit des photos de corps tuméfiés, de membres arrachés. Des noms inscrits sur des bouts de papier posés sur des linceuls. Tout y dit l'urgence. Celui qui a pris les photos n'a pas eu le temps de les trier. Certains clichés ne sont pas dans le bon sens. Qu'importe, les images donnent une idée de la violence extrême de la répression qui s'est abattue sur les manifestants libyens à Tripoli, lundi 21 février. Diffusées sur Facebook, relayées sur Twitter, les images des Libyens sont les seuls témoignages de ce qui aurait pu être un massacre à huis clos, aucun journaliste étranger ne pouvant pénétrer dans le pays. En Tunisie, aux lendemains de la fuite de Ben Ali, les Tunisiens se passaient leur nom "Facebook " avant d'échanger leur numéro de téléphone portable. On a vu des "Merci Facebook" taggés sur les murs de Tunis. Plus anecdotique, une petite "Facebook" vient de naître en Egypte. Les réseaux sociaux ont joué un rôle dans l'ensemble des révolutions du monde arabe. Et d'abord en Tunisie.

La Tunisie, la première des révolutions 2.0

Tout commence donc de Sidi Bouzid, une petite ville tunisienne, lorsque le 17 décembre, Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur de fruits et légumes désespéré s’immole. Ses proches manifestent dans les rues de la ville. Mais les médias tunisiens ne relaient pas l'information. "C’est un cyberactiviste de Sidi Bouzid qui la diffuse sur Twitter explique ainsi Alya Mlaiki, une jeune tunisienne doctorante à l’école de management de Strasbourg (EM Strasbourg) et dont la thèse traite de l’usage des réseaux sociaux. L’information est reprise par d’autres activistes comme Slim Amamou (devenu depuis le Secrétaire d'Etat à la jeunesse) qui milite depuis quelques années contre la censure d'Internet. Comme Twitter n’est pas beaucoup utilisé en Tunisie, celle-ci est relayée sur Facebook."

Or, la Tunisie est le premier pays arabe et africain à se connecter au World Wide Web, en 1991. Les Internautes tunisiens sont très présents sur Facebook. Et tout s'accélère. Entre le 17 décembre et le 20 février dernier, plus de 400 000 Tunisiens s'inscrivent sur Facebook pour comprendre ce qui se passe. "Castro a passé des années à préparer sa révolution dans les campagnes cubaines, s'étonnait ainsi Roger Cohen, un célèbre journaliste américain dans une chronique du New-York Times le 24 janvier. Facebook a propulsé l’insurrection depuis l'intérieur du pays jusqu’à la capitale tunisienne en 28 jours." Un tout petit mois pour faire fuir un autocrate au pouvoir depuis 32 ans. Tous les experts sont d’accords : un tel bouleversement n'est possible que dans un contexte social particulier. "Si Facebook a joué un rôle important, ce sont les Tunisiens qui se sont mis en danger dans la rue qui ont fait cette révolution et pas Internet." tempère ainsi Alya Mlaiki.

1789, 1848, 2011 : A chaque révolution son média

Le phénomène n’est pas nouveau. Beaucoup de révolutions ont été accompagnées par le développement d’un média. "Quand il y a éruption sociale, les médias de l’époque servent forcément d’intermédiaire, analyse Patrick Eveno, historien des médias et professeur à la Sorbonne. En 1788, à la veille de la révolution française, les journaux et les pamphlets se sont multipliés. Il y a eu le même phénomène en 1848. Les médias sont alors des outils d’expression, ils accompagnent et amplifient la révolte. Le propre de la révolution est lorsque le pouvoir n’arrive plus à maintenir le couvercle sur la marmite. C’est l’explosion de la parole. Celle-ci prend les formes techniques de l’époque."  A l’heure d’Internet, la parole fait le tour du monde à la vitesse d’un clic. Comment ? Grâce à une petite machinerie bien huilée où chacun joue un rôle, finalement pas si différent que lors d'une mobilisation classique, avec ses militants en première ligne et sa base populaire.

Une machinerie bien huilée

Premier rouage : les Cyberactivistes. Ce sont les principaux émetteurs d’infos. Experts du net, ceux-ci sont à l'affut : ils récupèrent les images et vidéos prises par les manifestants sur le terrain, les mettent en scène, les propulsent sur les réseau sociaux. Certains vont plus loin comme les Anonymous (en lien un de leurs blogs) , les anonymes en français. Un collectif d'internautes qui ont fait leurs armes en luttant contre l'Eglise de scientologie ou en défendant Wikileaks (Operation Leakspin). Depuis la révolution tunisienne, les Anonymous ont lancé plusieurs actions d'aide aux manifestants des pays du monde arabe comme par exemple "Opération Algérie" ou encore "Libyaration" pour la Libye. Pour le devenir, il suffit de télécharger un logiciel sur Internet et de s'inscrire sur les forums de discussion du collectif. Ceux-ci choisissent une cible, un site internet officiel par exemple, et le saturent de requêtes, jusqu'à rendre les connexions impossibles.

Ci-dessous, en vidéo,  le communiqué de presse d'Anonymous pour "Opération Algérie"


Autre engrenage, les militants : les utilisateurs de Twitter, un service de "microblogging" qui permet de diffuser très rapidement des messages courts, 140 signes maximum. "Twitter est utilisé par une certaine élite, des relais d'opinion, explique Tristan Mendès-France, un blogueur militant et intervenant sur les nouvelles technologies à l'université Paris VII. En 140 signes, soit une à deux phrases, il faut être concis et percutant. L'information y circule très rapidement". 

Et enfin, la base, les utilisateurs de Facebook. Le site touche davantage de monde mais les infos y circulent moins vite puisqu'il fonctionne sur le principe de la recommendation : pour être diffusée très largement, une information doit d'abord être reprise par les "amis" de l'émetteur. Mais c'est aussi une force : le site se distingue ainsi par son efficacité à organiser des manifestations. Un peu comme on rejoint un mouvement invités par ses amis, donc en confiance. Les groupes ou pages "Facebook" enflent très vite. Celui qui appellait au rassemblement le 17 février en Libye, comptait  20 612 personnes à 11h49 le même jour. Deux heures plus tard, plus de mille personnes l'avait déjà recommandé. Lundi 21 février, ils sont plus de 60 000 à avoir rejoint le mouvement.

Du Bahreïn à la presse internationale, itinéraire d'une info 2.0

Cyberactivistes, Twitter, Facebook : la synergie est redoutablement efficace. Exemple avec ces photos diffusées jeudi 17 février, jour de manifestation au Bahrein. Ce jour-là, un certain Mohd Ali crée un profil sur Facebook. Il y poste des photos qui semblent avoir été prises à l’hôpital de Manama, la capitale. Les images sont terribles (nous avons illustré cet article avec l'une d'entre-elles). Les plus dures se retrouvent très rapidement sur Twitter comme celle du corps d’un enfant que Mohd Ali a pourtant retiré très vite de son compte Facebook. Les utilisateurs de Twitter qui la "retweetent", c'est à dire qu'ils la diffusent, ajoutent leurs commentaires. Parfois ils éditorialisent leur message. "Voilà ce qui arrive à un enfant au Bahreïn" écrit l'un d'entre eux. La petite fille est bientôt nommée l’"enfant martyr". On retrouve sa trace ensuite sur les sites d’informations traditionnels comme le site britannique Evening standard. Tout cela s'est passé en à peine une heure.

"Mais attention, tempère Tristan Mendès-France, il ne faut pas surestimer le rôle des réseaux sociaux. Dans les pays concernés, les connexions à Internet ne sont pas toujours bonnes et ces sites ne sont pas forcément accessibles. C'est là qu'interviennent les médias internationaux, les chaînes satellitaires comme surtout Al Jazira, la chaîne qatari très regardée dans le monde arabe. Il se passe un jeu subtil. Quelqu’un filme par exemple la répression d’une manifestation et arrive à diffuser la vidéo sur Internet. Celle-ci fait du "buzz" à l’intérieur du pays auprès de ceux qui sont connectés à Facebook et Twitter. Cela pourrait s'arrêter là. Mais lorsque la vidéo est reprise par Al Jazira, celle-ci traverse les frontières. Et surtout, elle est vue par beaucoup plus de monde dans le pays concerné. Cela motive les gens à manifester et ainsi de suite. La contestation se nourrit de ces allers-retours incessants. Et au bout d’un moment, ça explose."

Rumeurs et " slacktivisme " , les faiblesses du système

Les faiblesses du système sont pourtant réelles. La fiabilité des informations d'abord. Qui est, par exemple, Mohd Ali, celui qui a posté les photos de l'hôpital de Manama ? Impossible de l'identifier réellement. Ces photos ont-elles réellement été prises à l'hôpital de Manama, le 17 février ? Les sites de réseaux sociaux sont également perméables aux rumeurs. "En pleine révolution tunisienne, une rumeur affirmant que l’eau du robinet était empoisonnée a envahi Facebook, raconte Alya Mlaiki, la doctorante tunisienne. Le même jour dans la soirée, l’entreprise chargée de la distribution d'eau a dû démentir l'information à la télévision." On peut s'interroger aussi sur la profondeur de l'engagement politique des manifestants made in Facebook. Dans un livre publié au moment de la révolution tunisienne intitulé The Net delusion, How not to change the world (La désillusion du Net, Comment ne pas changer le monde), Evgeni Morozov, un chercheur biélorusse met ainsi en garde contre le " slacktivism ", un néologisme composé de "slacker"( fainéant) et activisme, pour désigner les engagements superficiels que l'on prend sur Internet.

Les dictatures désarmées

De leur côté, les régimes autoritaires sont désarmés. " En Tunisie, où le régime avait mis en place l'un des systèmes de censure les plus strictes, celui-ci s'est contenté d'augmenter la pression en infiltrant par exemple les pages Facebook des opposants, témoigne Lucie Morillon, chargée de la lutte contre la censure Internet à Reporter Sans Frontières (RSF). En Egypte, c'est différent. Le gouvernement avait pincipalement mené une politique d'arrestation de blogueurs. Résultat : il a paniqué quand il a vu que la situation lui échappait. D'où la coupure totale d'Internet." Muhammar Kadhafi semble lui aussi un peu perdu. Sur sa page Facebook, la dernière entrée date du 17 février. Mardi 22 février, à l'heure où nous bouclons, plus personne ne semble modérer les commentaires qui s'accumulent. Signe que le régime est sur le point de vaciller ? Sous les photos d'un rassemblement pro-Kadhafi, un internaute a écrit " Khadafi brûlera dans les flammes de l'enfer!" En majuscules, ce qui, en langage Internet, équivaut à un cri.

 

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